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25 août 2009

La détresse et la honte

L’assistante sociale sonna et attendit avec appréhension. Elle faisait un métier difficile, nerveusement surtout, mais la difficulté, ce jour-là, était singulière…

Un homme entrebâilla la porte. Il regarda sa visiteuse avec méfiance.

- Oui…, dit-il sur un ton interrogatif. Le « oui » n’est pas toujours une affirmation : il sert souvent à questionner.

- Bonjour, monsieur. Nous procédons à une enquête sur le niveau de vie des membres de notre communauté. Il semblerait que…

- Que semble-t-il ? demanda vivement l’homme.

- Il semblerait que vous pourriez avoir…

- … besoin d’aide ? J’ai tout ce qu’il me faut, je n’ai besoin de rien. Je ne suis pas pauvre, vous savez. Il y a des pauvres dans cet immeuble, mais pas moi ! Vous vous êtes trompée de porte. Allez voir ailleurs…

- Ce n’est pas une honte, vous savez, d’être pauvre : c’est plutôt la richesse, en tout cas la grande, qui devrait faire rougir. Sans pauvreté, du reste, il n’y aurait pas de solidarité, de compassion, d’amour… Nous devons à la pauvreté nos plus belles vertus, notre richesse d’âme !

- C’est possible, mais je ne suis pas pauvre.

Elle balaya du regard le studio exigu.

- Vous n’avez presque rien chez vous…

- Je n’aime pas être encombré : j’ai besoin d’espace…

Elle le regarda.

- Et regardez-vous : vous avez la peau sur les os…

- Je suis un régime, un régime draconien. Je veux être et rester mince : c’est meilleur pour le cœur et les articulations, et c’est plus élégant !

Elle poussa la porte.

- Je peux regarder votre réfrigérateur ?

- Pourquoi ? Le contenu de mon frigo ne vous regarde pas !

- Je veux voir quand même…

Elle avait tellement d’assurance qu’il la laissa faire.

Elle ouvrit le frigo : il était à peu près vide. La seule chose pleine était une bouteille d’eau (c’était l’été).

- Mais vous n’avez rien à manger !...

- Vous avez faim, vous, avec cette chaleur ? Et puis, qui vous dit que je ne mange pas dehors ?

- Avec quoi ? Vous avez de l’argent ? Puis-je voir votre dernier relevé bancaire ?

- Vous commencez à dépasser les bornes, vous outrepassez vos droits ! Je n’ai aucun compte à vous rendre, je ne dépends pas de vous, je n’ai jamais voulu dépendre de personne !

- Je crains que votre cas ne justifie une aide financière régulière et que vous soyez contraint d’accepter l’aide de la communauté. Vous aurez un mois pour contester la décision quand elle vous sera notifiée : il vous faudra prouver, pièces à l’appui, que vous n’êtes pas en dessous du seuil de pauvreté.

Elle le laissa sans voix et sortit, excédée.

 

Dans les pays pauvres, se dit-elle, la pauvreté, comme d’ailleurs la vieillesse, est respectée : on les associe, l’une et l’autre, à la sagesse. Dans les pays riches, pauvreté et vieillesse sont mises au ban. A la difficulté d’être vieux ou/et pauvre, s’ajoute la honte de l’être : à la souffrance physique s’ajoute la souffrance morale. Les pauvres des pays riches cachent leur pauvreté, allant même, comble de l’absurdité, jusqu’à se priver du strict nécessaire pour s’acheter de la poudre à jeter aux yeux. Pauvres gens, pauvres pauvres des pays riches ! soupira-t-elle en regardant la nouvelle adresse où elle devait se rendre pour faire son dur métier.

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