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18 juin 2009

Dans le couloir du métro

Dans le couloir du métro, je m’arrête devant un escalier encombré et mouillé, quasiment impraticable : un « clochard » hirsute et hagard, vêtu (si l’on peut dire) de hardes sordides, le descend, à moins qu’il ne le remonte (difficile de savoir, tant il est... statique), avec son… bagage, une dizaine de sacs et autant de bouteilles, dont une ou plusieurs ont dû se renverser.

 

Spectacle proprement « apocalyptique », qu’on pouvait croire d’un autre temps. Mon regard croise celui d’une dame qui a franchi, comme moi, sur le bord... sec l’escalier.

– Il n’y a pas de mots pour dire…

– Absolument, confirmé-je.

 

Le spectacle, en effet, est ineffable, mais sa cause profonde, elle, peut s’énoncer. J’ajoute :

– C’est ce monde qui engendre de telles horreurs.

– Oui, c’est la société, le système, dit la dame.

Nos chemins divergeant, je continue avec moi-même la conversation ébauchée.

 

Ce n’est pas la pauvreté, ni même la misère, qui est le problème : elle sont vieilles comme le monde. C’est l’indifférence au malheur, le manque d’attention bienveillante, de compassion. Les malheureux font tache, défaut, désordre dans un monde hédoniste, persuadé que le malheur est une survivance des temps anciens dont le progrès fera bientôt un mauvais souvenir.

 

Dans un monde où le malheur est déplacé, il n’y a pas de place pour les malheureux. Le malheureux dérange, rappelle que la vie peut être dure, cruelle, que la douceur de vivre n’est pas donnée, qu’elle est difficile à conquérir et à conserver… Et ce qui nous rappelle ce que nous voulons oublier, nous le refoulons, nous le refusons, ajoutant le malheur de l’exclusion, de la solitude, au malheur de la précarité.

 

Le malheur s’ajoute au malheur, cercle vicieux, infernal, qui ne concerne que les malheureux quand ils sont isolés, c'est-à-dire rares, et toute la société quand leur nombre, leur densité s’accroît, rompant leur isolement. Alors, avec l’énergie du ressentiment, c'est-à-dire du désespoir, le cancer du malheur commence à essaimer, et c’est le bonheur, bientôt, qui devient un souvenir.

 

Ce qui était le plus horrible chez cet homme, ce n’étaient pas ses guenilles, sa saleté, ses sacs et ses bouteilles : c’était son expression hagarde, qui traduisait son anéantissement intérieur.

 

La pauvreté, la misère même, dans un monde solidaire, à tout le moins attentif et compatissant, peut dégrader le corps mais pas l’âme.

 

Cet homme avait l’âme détruite. Non par la pauvreté matérielle, mais par la misère spirituelle de ses semblables.

 

 

 

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