"Y en a marre !"
« Le bonheur naît du malheur » (Lao-Tseu).
A la supérette, une vendeuse en congé qui fait ses courses au magasin qui l'emploie vitupère contre le temps (celui qu'il fait, non celui qui fuit) :
- Y'en a marre ! On nous promet du soleil et... regardez cette grisaille ! Ras le bol !
Ce propos me sidère, et plus encore la non-sidération de son interlocutrice : (j'ai toujours eu moins peur du mal lui-même que de l'indifférence à son égard, qui est sa cause profonde).
Le mal ? s’étonnera-t-on. Mais quel mal y a-t-il dans le propos de cette pauvre vendeuse ? En lui-même, évidemment, aucun : le mal est dans ses implications. Cette exigence de soleil, de beau temps, cette allergie au "mauvais" temps, trahit une incompréhension funeste de l'existence : s'il faisait toujours "beau", il n'y aurait plus de pluie, la flore et la faune dépériraient et on mourrait de faim. S'il faisait toujours soleil, jour, il n'y aurait plus de nuit, on ne pourrait plus dormir, se reposer (je ne parle pas, faute de compétence, des conséquences écologiques), et on mourrait de fatigue, etc.
Si on supprimait tout qu'il y a dans la vie de "désagréable", on la rendrait impossible. Qui veut faire le paradis fait l'enfer. Le "mal" est inséparable du bien, comme le revers de la médaille. Le monde sans mal, c'est l'univers concentrationnaire, c’est-à-dire l’im-monde. Hitler et Staline nous ont donné un aperçu du monde vers lequel, si nous ne bifurquons pas, nous nous acheminons. Des millions d'êtres humains sont morts pour nous éclairer; il ne tient qu'à nous qu'ils ne soient pas morts pour rien.
Tant que l'homme fuira le malheur, le malheur le poursuivra. Le malheur nous fuira quand nous renoncerons à l’éradiquer pour apprendre enfin à nous en servir pour faire notre bonheur, car le vrai bonheur se fait, et il se fait avec le malheur, en "faisant avec", comme on dit si bien.